Principes éditoriaux

Sefer ha-shorashim

Les manuscrits qui ont servi de base pour l’édition électronique du texte hébraïque du Sefer ha-shorashim ont été choisis en fonction d’un travail préliminaire sur le stemma. Bien qu’il ne nous ait pas encore été possible d’établir définitivement les liens de filiation entre les nombreux manuscrits qui nous sont parvenus - près de quatre-vingts complets ou presque -, nous avons identifié des groupes de manuscrits possédant des caractéristiques textuelles proches.

L’une d’elles comporte un grand nombre de témoins, parmi lesquels figurent deux manuscrits datés : Padova, Biblioteca del Seminario Vescovile Ebraico 210, copié à Rome en 1287 et Wrocław, Biblioteka Uniwersytecka w Wrocławiu F 46886 (4), copié en 1301.

Ce dernier, qui avait appartenu à Gersonide, ne présente aucune lacune. Il a donc été le premier manuscrit à avoir été saisi dans sa totalité et à avoir été comparé à l’édition Biesenthal et Lebrecht (Berlin, 1847). Deux manuscrits ont été ajoutés par la suite : Madrid, Biblioteca Nacional 5454 et Vatican, Biblioteca Apostolica ebr. 414.

L’édition s’efforce de respecter deux impératifs, s’approcher au plus près des textes conservés dans les manuscrits retenus tout en veillant à en faciliter la lecture. Pour plus de lisibilité, la foliotation est indiquée pour le manuscrit conservé à Wroclaw et renvoie aux folios source. La mise en texte et la ponctuation reprennent celles de l’édition Biesenthal et Lebrecht. La même logique a prévalu dans les passages qui n’y figuraient pas. Le lecteur trouvera donc une ponctuation moderne et non le simple découpage des unités logiques, souvent marqué dans le manuscrit par le copiste, à l’aide d’un point ou d’une apostrophe. Les bouts de ligne, les mots adventices insérés pour la justification du texte n’ont pas été pris en compte.

L’espacement des mots étant parfois ambigu, un certain nombre de doutes légitimes n’ont pas été levés : concernant, notamment, la présence d’un mot composé qui pourrait également être deux mots séparés. Nous avons proposé des interprétations au cas par cas.

La distinction entre les consonnes finales du pluriel, mem et nun, a été conservée (מפרשין ou מפרשים, par exemple). En cas d’abréviation, la forme standard a été restituée (יש מפרשים pour י"מ). Nous avons conservé les choix des copistes en ce qui concerne la graphie pleine ou défective.

Il était parfois difficile de distinguer entre lettres de forme très similaire : le copiste avait-il noté un כ ou un ב, un ה ou un ח, voire même un י, un ו ou un ן, la longueur des traits étant parfois ambiguë ? L’éditeur a tranché en son âme et conscience !

L’utilisation des voyelles dans les manuscrits n’est pas uniforme. Dans le ms. Vatican 414, par exemple, les citations bibliques sont toujours vocalisées, ce qui permet de les repérer visuellement, tandis que dans le ms. Madrid 5454, elles ne le sont jamais. La vocalisation n’a été retenue que pour les gloses vernaculaires ou leˁazim, en raison de l’importance qu’elle revêt pour la restitution de ces mots.

Les abréviations courantes ont été développées, à l’exception de ז"ל.

Forme développée Abréviation
אומר, אומרים אומ'
אמר, אמרו אמ'
אף על פי כן אעפ"כ
הקדוש ברוך הוא הקב"ה
משקל אחר מ"א
ענין אחר ע"א
עליו השלום ע"ה
על משקל ע"מ
רב ר'
רוצה לומר ר"ל
תלמוד לומר ת"ל

Certaines abréviations présentent des ambiguïtés potentielles : elles peuvent être développées, et parfois même interprétées, de plusieurs façons. C’est le cas notamment des abréviations employées pour les différentes formes du verbe פרש et qui pourraient être rendues, selon les cas, par פירוש, פירושו, פרשו, פרשוהו, פירש, פירשו. S’il avait été possible de discerner une cohérence interne pour chacun des manuscrits, nos choix auraient été facilités. Cependant, en l’absence d’une telle cohérence, nous avons gardé la forme développée telle qu’elle figure dans le manuscrit conservé à Wroclaw et avons donc signalé les divergences entre les différents témoins.

Il en va de même pour les formes יש מפרש et יש מפרשים, רב et רבנו, ainsi que pour רוצה לומר et רצה לומר, כתב et כתבו.

Les citations bibliques sont plus ou moins longues selon les manuscrits. Nous avons indiqué ces divergences mais nous ne les avons pas signalées comme étant des variantes signifiantes. En revanche, les variantes bibliques relevées par Kennicott ont été signalées.

Dans les cas où il ne subsistait aucun doute, nous avons indiqué les corrections du texte dues à une intervention postérieure. Si le texte a été supprimé ou biffé, en cas de censure notamment, nous l’avons conservé dans l’édition s’il restait lisible tout en précisant qu’il avait été retouché.

Liber radicum

La traduction latine du Sefer ha-shorashim de David ben Joseph Kimhi (1160-1235) est transmise dans deux manuscrits :

  • le ms Lat. 3 de la Bibliothèque Angelica de Rome (dorénavant ms A)
  • le ms 236 de la Bibliothèque de l’Université de St Andrews en Écosse (dorénavant ms ST).

Le ms A est un codex papier composé de [II]-II-785 feuillets de 287 x 212 mm. Le manuscrit (non daté) est l’œuvre de quatre copistes : Giovanni Margarito da Narni (f. 2r-441v, v. colophon au f. 441v) ; un deuxième scribe anonyme (f. 445r-501v) ; un troisième scribe, lui aussi anonyme (f. 503r-769v) ; un quatrième scribe anonyme qui a copié l’index situé au f. 774r-785v.

Le ms ST est un codex papier composé de 381-[V] feuillets. D’après le catalogue en ligne de la Bibliothèque de l’Université de St Andrews, le manuscrit mesure 200 x 135 mm. Le ms ST a été copié à Saragosse par un seul scribe et a été achevé le 7 janvier 1519, lorsque Gilles de Viterbe se trouvait en Espagne en tant que légat du pape Léon X.

La traduction latine du Sefer ha- shorashim transmise par les ms A et ST est une traduction calque – c’est-à-dire une traduction visant à fournir pour chaque lexème hébreu un correspondant latin, sans que ne soient pris en compte l’intelligibilité et le sens général de la phrase ni même, très souvent, le sens du lexème dans le contexte spécifique. La finalité de cette traduction est indiquée dans la note figurant à la fin des deux manuscrits et qui dans le ms A (f. 769v) se lit ainsi : Fratris Aegidii V[iterbiensis] ordinis Eremitarum sancti Augustini iussu scripta sunt hec quanquam inculcata, inversa, dura et que recto vix percipi possint, maluit tamen fratres suos his utcumque uti posse quam omnino carere, qui leges boni consule. Autrement dit, quoique conscient des limites de cette traduction, Gilles de Viterbe la considérait cependant comme un outil essentiel permettant à ses confrères de se familiariser avec le vocabulaire de la langue hébraïque.

Comme je l’ai montré dans un article consacré à la tradition de cette traduction (v. Corazzol 2019, ainsi que les remarques de l’édition en ligne https://shorashim.hypotheses.org/143), les manuscrits A et ST sont des apographes descendant tous deux d’un antigraphe perdu (dorénavant α), lui-même issu d’un archétype perdu (dorénavant Ω) – α étant vraisemblablement une copie soignée du brouillon original Ω. En effet, la comparaison des deux manuscrits avec le texte hébreu du Sefer ha-shorashim édité par Johann Heinrich Biesenthal et Fürchtegott Lebrecht (Berlin, 1847) a mis en lumière la présence de nombreux errores coniunctivi ainsi que de nombreux errores separativi, qui excluent de fait un lien de filiation entre les deux manuscrits mais indique l’existence d’un ancêtre commun.

Le ms A présente plusieurs leçons idiosyncratiques, comme propie et propietas pour proprie et proprietas ; occulus et accutus pour oculus et acutus ; sepero (et formes dérivées) pour separo ; Isdrael pour Israel. En outre, dans le ms A on trouve plusieurs leçons fautives dues apparemment à une mauvaise interprétation des signes d’abréviation : ainsi, dans ce manuscrit, la lettre lamed est toujours indiquée par lamend et le nom Ionatan est souvent rendu par Ionatam. Le ms ST ne présente pas de leçons idiosyncratiques ; cependant, on trouve aussi dans ce manuscrit des leçons fautives dues à une mauvaise interprétation des signes d’abréviation, comme Ionatam pour Ionatan. Dans les deux manuscrits, la lettre ˁayin est presque toujours appelée aym pour la même raison.

En raison de la nature même du texte de Qimḥi, où le même mot, ou des mots très proches, sont fréquemment répétés à intervalles très proches, les ms A et ST contiennent un grand nombre de sauts du même au même – parfois communs aux deux manuscrits et parfois repérables dans un seul des manuscrits. Quand les sauts sont communs aux deux manuscrits, il est rarement possible de déterminer s’ils sont dus à α ou à l’antigraphe hébreu utilisé par le traducteur. On notera cependant que A contient moins de sauts du même au même que ST.

La ponctuation est insérée de façon irrégulière dans les deux manuscrits. Dans A, la partie copiée par Giovanni Margarito da Narnia comporte une ponctuation abondante, bien que parfois idiosyncratique, tandis que les parties copiées par les autres scribes n’en ont aucune. Le ms ST, quant à lui, signale le passage d’une forme à une autre, à l’intérieur d’une même racine, par un signe de forme angulaire (crochet alinéaire).

Dans les deux manuscrits, au début de chaque racine apparait dans la marge la transcription de la racine en caractère hébreux. Elle est accompagnée, dans ces deux témoins, d’un numéro qui correspond probablement à la foliotation du ms α : cette numérotation a été insérée pour faciliter l’utilisation de l’index qu’on trouve à la fin des deux manuscrits, très certainement établi sur la base de la foliotation du ms α (Corazzol 2019). Le paratexte du ms ST est cependant beaucoup plus riche que celui du ms A. En effet, le ms ST contient un paratexte imposant permettant au lecteur de repérer rapidement, à l’intérieur de chaque racine, les vocables dérivés de cette racine. Ces derniers sont soulignés dans le texte latin et accompagnés dans la marge de la forme originelle en hébreu. Il semble que, pour Gilles de Viterbe, le ms ST devait correspondre à une ébauche de l’édition définitive du texte latin.

Si l’on s’en tient au sens strict du terme, la tradition de la traduction latine du Sefer ha-shorashim n’est composé que de deux manuscrits issus d’un antigraphe comportant de très nombreuses erreurs. Cependant, comme l’a déjà fait remarquer Saverio Campanini (Campanini 2016), une traduction-calque peut être considérée comme partie intégrante de la tradition du texte original dans la mesure où elle vise à fournir un miroir fidèle et stable du texte original. Le texte hébreu du Sefer ha-shorashim permet ainsi de corriger aisément les erreurs présentes dans la tradition du texte latin.

En raison du nombre mineur de sauts du même au même à l’intérieur du ms A, notre édition est fondée sur le texte transmis par ce dernier. Les leçons idiosyncratiques ont été normalisées. Les variantes textuelles présentés dans le ms ST ont été indiqués dans l’appareil critique.

L’édition comprend deux parties :
La première partie (lettres alef à yod) est une édition critique fondée sur le ms A, amendée et annotée sur la base de l’édition Biesenthal et Lebrecht. Chaque correction est accompagnée d’une note dans laquelle est indiquée l’erreur commune aux ms A et ST. Dans certains cas, pour plus de clarté, le mot hébreu qui a permis de corriger le texte latin est également mentionné. Quand la leçon des ms A et ST ne peut pas être expliquée par une faute déjà présente dans α (indiqué dans notre édition par le sigle TSC), on a tenté de reconstituer la leçon de l’antigraphe hébreu utilisé par le traducteur (indiqué dans notre édition par le sigle HTSR). Les sauts du même au même sont aussi signalés en note.

La deuxième partie (lettres kaf à taw) est l’édition diplomatique du ms A accompagnée des variantes de ST. Dans cette partie, le travail de comparaison avec le texte hébreu est laissé au lecteur.

Liste des abréviations utilisées dans l’édition :

  • Ed = Texte amendé sur la base de BL
  • A = ms Lat. 3 de la Bibliothèque Angelica de Rome
  • ST = ms 236 de la Bibliothèque de l’Université de St Andrews en Écosse
  • BL = Édition Biesenthal - Lebrecht
  • HTSR = Antigraphe hébreu du traducteur

Bibliographie :

  • Abate 2014 = E. Abate, ‘Filologia e Qabbalah. La collezione ebraica di Egidio da Viterbo alla Biblioteca Angelica di Roma’, Archivio italiano per la storia della pietà 26 (2014), pp. 409-446.
  • Abate 2016a = E. Abate, ‘David Qimhi et Gilles de Viterbe ; la lexicographie juive face à l’héritage magique’, dans. F. Buzzetta (éd.), Angéologie, démonologie et spiritualisation du réel (Paris: Kime, 2016), 11-47.
  • Abate 2016b = E. Abate, ‘Elias Levita the Lexicographer and the Legacy of Sefer ha-shorashim’, Sefarad 76/2 (2016), pp. 289-311.
  • Abate - Mottolese 2016 = E. Abate - M. Mottolese, ‘La qabbalah in volgare: manoscritti dall’atelier di Egidio da Viterbo’, dans S. U. Baldassarri - F. Lelli (éds.), Umanesimo e cultura ebraica nel Rinascimento italiano (Firenze: Angelo Pontecorboli Editore), pp. 15-40.
  • Campanini 2016 = S. Campanini, ‘”Thou bearest not the root, but the root thee”. On the reception of the Sefer ha-shorashim in Latin’, Sefarad 76/2 (2016), pp. 313-331.
  • Corazzol 2019 = G. Corazzol, ‘Sulla tradizione testuale della traduzione calco in latino del Sefer ha-shorashim di Dawid Qimhi prodotta nel circolo di Egidio da Viterbo’, Materia giudaica 24 (2019), pp. 393-400.

Glossaire des termes grammaticaux utilisés dans la traduction

edificium quadratum בנין מרובע
cum affixo בסמוך
dagessatio דגשות
he mulieris ה"א נקבה
infinitum המקור
passum הפעול
verbum quadratum הפעל המרובע
verbum grave הפעל הכבד
hitpaal התפעל
transiens יוצא
cognomino כנה
pronomen, cognomen כנוי
levigatum מוקל
Dictio מלה
pondus adiectivi משקל התאר
niphal נפעל
Stans עומד
statera פלס
passuc פסוק
verbum absolutum פעל בודד
verbum augmentatum פעל הנוסף
verbum transiens פעל העובר
verbum preteritum פעל עבר
verbum stans פעל עומד
patha פתח
imperativum צווי
sere צרי
collectio קבוץ
leve קל
cames rapta קמץ חטף
seva שוא
cuius non memoratus est agens suus de daggessato שלא נזכר פעלו מהדגוש
nomen שם
nomen adiectivum שם תאר
nomen rei שם דבר
adiectivum תאר
adiectivum transiens תאר יוצא

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